T'es féministe aussi dans ta consommation ? - Ecologie et féminisme : quel rapport
"T'es féministe, mais..."
Cette phrase souvent entendue n'a pas de sens. On est féministe, point. Sans condition.
Chez Dream Act, on préfère poser une question : T'es féministe .aussi. dans ta consommation ?
Quoi, quel rapport le féminisme et le choix de mon t-shirt ? Entre le réchauffement climatique et les femmes ? Entre l'épuisement des ressources et l'oppression féminine ? Quelques explications s'imposent.
En résumé :
- 85 % de la main d'oeuvre textile de la fast-fashion est féminine.
- 70 % des personnes les plus pauvres, c'est à dire vivant avec moins d'1 $ par jour, sont des femmes.
- Sur la planète, les femmes exercent 80 % du travail de la terre, mais ne sont propriétaires que de 5 % de celles-ci. Et ne perçoivent que 10 % des revenus de ce travail.
- A l'échelle mondiale, les femmes ont 5 fois plus de risque de mourir en cas de catastrophes naturelles, ces dernières arrivant de plus en plus fréquemment : 70 % des victimes du Tsunami de 2004 en Asie étaient des femmes
- Les désordres climatiques impactent en premier les femmes en les précarisant :
- Les sécheresses et inondations menacent la sécurité alimentaire et l'activité agricole, majoritairement à la charge des femmes en Asie et Afrique.
- Les pénuries de ressources naturelles (eau, bois) les forcent à parcourir plus de distance pour les collecter : les aînées ont moins de temps pour exercer une activité rémunérée, et les plus jeunes sont déscolarisées pour aider.
- La précarisation des foyers dû aux changements climatiques pourrait engendrer 1,5 million de mariages forcés de mineures, sacrifiées par leurs familles qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins. - D'ici 2050, 50 à 200 millions de réfugiés climatiques pourraient fuir leurs pays. Or, les femmes représentant actuellement déjà 50 % des migrants dans le monde, sont surexposées à la violence dans les situations de migration.
En détails :
Les femmes, premières touchées par la précarité...
Aujourd'hui, 1,2 milliard de personnes vivent avec moins d'1 dollar par jour : 70 % d'entre elles sont des femmes. A savoir que le seuil de pauvreté mondial est, lui, fixé à 1,90 dollars par jour par la Banque Mondiale depuis 2015 (contre 1,25 $/jour auparavant).
A l'échelle mondiale, les femmes exercent un travail moins qualifié et moins bien rémunéré. A titre d'exemple, 85 % des ouvrier(e)s textiles de la fast-fashion sont des femmes d'après le collectif Ethique sur l'Etiquette. Leur salaire varie entre 23 € par mois en Ethiopie, jusqu'à 291 € en Chine, pays de plus en plus délaissé par l'industrie textile car la main d'oeuvre y est devenue "trop chère" !
Ce premier constat posé, il faut aussi savoir que sur la planète, les femmes exercent 80 % du travail de la terre, mais ne sont propriétaires que de 5 % de celle-ci, n'ayant pas les mêmes droits d'accès à la propriété foncière ou au prêt bancaire. Côté rémunération, elles ne perçoivent que 10 % des revenus de ce travail. Par exemple, en Suisse, les femmes productrices alimentaires n'ont pas les mêmes droits que les hommes. Plus de 2/3 des agricultrices n'ont pas de protection sociale et se retrouvent dans une grande précarité en cas de divorce et à la retraite, moins de 2 % sont cheffes d'exploitation et plus de 65 % des titres de propriété n'appartiennent qu'à l'homme et ne transmettent que d'homme à homme.
Il faut bien comprendre que les inégalités sociales dont souffrent les femmes (accès limité à la formation, la propriété, les outils de production, le prêt bancaire...) les rendent, déjà, vulnérables et dépendantes de leur activité pour survivre (activité agricole au rendement 30 à 40% inférieur que celui des hommes d'après l'UNESCO, du fait encore une fois de ces inégalités), donc dépendantes des ressources naturelles. Il en résulte une moindre capacité d'adaptation aux changements climatiques.
...agravée par les désordres écologiques
Or, la pollution et le réchauffement climatique entraînent des désordres écologiques comme des inondations, des sécheresses, des incendies, l'appauvrissement des sols... Avec pour conséquence directe de menacer la sécurité alimentaire et hydraulique ainsi que les activités agricoles. Ces activités étant majoritairement à la charge des femmes en Asie et en Afrique, elles perdent alors une part de leurs moyens de subsistance (toujours sans posséder la terre sur laquelle elles travaillent!), tout en éprouvant une pression et une charge de travail plus forte.
En effet, ces nouvelles contraintes provoquent une surcharge de travail pour les foyers afin de survivre. Les enfants sont alors mis à profit, notamment les petites filles qu'on déscolarise en premier pour aider. Les femmes subissent également la responsabilité des "corvées gratuites" qui prennent plus de temps et sont plus fatiguantes : pour trouver des ressources indispensables pour le foyer comme l'eau ou le bois, elles parcourent des distances plus longues.
4 milliards d'heures de travail gratuites sont accomplies par les femmes africaines, d'après le rapport "Femme et Climat" de Ségolène Royal, ancienne ministre de l'Écologie en France et présidente de la COP21. Au Sénégal, par exemple, les femmes passent en moyenne 17,5 heures par semaine à collecter l’eau. Une tâche de plus en plus éprouvante donc : pendant la saison sèche en Inde et en Afrique, la corvée d'eau absorbe au moins 30 % de l’apport calorique journalier des femmes en milieu rural d'après l'Organisation Mondiale de la Santé.
Des conséquences sur les plus jeunes filles
Cette énergie et ce temps supplémentaire, induits par les conséquences du réchauffement climatique, retirent du temps de travail rémunéré à ces femmes, ce qui les précarise davantage, ou engendre la déscolarisation de fillettes pour aider...ou les deux. Cette déscolarisation précarise et vulnérabilise déjà ces jeunes filles par leur illettrisme, leur absence de formation professionnelle, leur manque d'information sur les méthodes de contraception, etc.
Plus inquiétant encore : la précarisation engendrée par les dérèglements climatiques amplifierait le phénomène des mariages forcés. Le reportage Brides of the Sun ("les épouses du soleil") a révélé cette réalité. On peut y lire le directeur de l'association YONECO, qui agit en faveur des femmes et des enfants au Malawi, tirer la sonnette d'alarme concernant les conséquences du climat sur le mariage des mineures : "Nous n'avons pas de chiffres détaillés, mais je dirais que 30 % à 40 % des mariages d'enfants au Malawi sont dus aux inondations et aux sécheresses causées par le changement climatique. Selon nos estimations, environ 1,5 million de filles risquent de se marier en raison d'événements liés au changement climatique dans le pays. C'est énorme."
Lucy Anusa, au coeur du reportage de Brides of the Sun - Photo de Gethin Chamberlain pour Brides of the Sun
Des risques accrus pour l'avenir
L'augmentation du nombre de mariages forcés comme conséquence directe du dérèglement climatique n'est pas le seul risque encouru par les femmes dans l'avenir.
Le changement climatique a déjà amplifié les phénomènes de catastrophes naturelles, comme nous l'ont montré les incendies en Amazonie, en Russie ou plus récemment en Australie, ou encore les inondations qui ont touché l'Europe, entre autre. Problème : les femmes ont cinq fois plus de risque de mourir que les hommes en cas de catastrophe naturelle, d'après un rapport du Parlement Européen sur les femmes et le changement climatique. À titre d'exemple, 70 % des victimes du Tsunami de 2004 en Asie étaient des femmes d'après le rapport de l'ONU. La raison ? Notamment l'absence d'acquis de survie comme savoir nager ou grimper aux arbres.
La migration climatique est également une des conséquences futures estimée par les scientifiques et le Gouvernement. Lors d'une table ronde "Femmes et lutte contre le changement climatique" au Sénat en France le 25 juin 2015, la représentante d'ONU Femmes-France indiquait que d'ici 2050, 50 à 200 millions de réfugiés climatiques pourraient fuir leurs pays.
Déjà actuellement, la moitié des migrants dans le monde sont des femmes, qui sont, lors de ces déplacements, surexposées à la violence comme le souligne un rapport de l'association France Terre d'Asile : "ces violences sont dues aux conditions d’accueil souvent, inadéquates ou précaires, à leurs conditions de précarité administrative et économique (…) mais aussi à des difficultés d’adaptation au pays de refuge. L’absence d’hébergement et le manque d’informations sur leurs droits accentuent considérablement leur vulnérabilité.Elles doivent ainsi faire face à d’importants risques d’agression, de viols ou encore d’exploitations diverses. (...) et ne bénéficient pas de la même protection et intervention face à ces violences. Le manque d’informations sur leurs droits fait d’elles des cibles faciles. ""
Enfin, toujours lors de table ronde de juin 2015, la représentante de l'UNESCO a souligné que la plus grande vulnérabilité des femmes face aux changements climatiques ne tient pas à des caractéristiques biologiques ou physiques, mais à des inégalités entre les hommes et les femmes inscrites dans l'ordre social, voire inscrites dans la loi : « La plus grande vulnérabilité des femmes, c'est sans doute d'être à la marge de nombreuses sociétés ».
On ne le répétera jamais assez : agir pour la planète et le climat, cela se passe au quotidien dans nos choix de consommation, dans nos modes de vie. En favorisant des alternatives écologiques, éthiques et durables, en réduisant notre consommation, en préservant nos ressources, nous pouvons changer les choses.
Écologie et féminisme sont étroitement liés : si t'es féministe, mais pas dans ta consommation, il est encore temps d'agir.
L'éco-féminisme, qu'est-ce que c'est ?
C'est la mise en relation et la lutte contre deux formes de domination : celle des hommes sur les femmes et celle des humains sur la nature. Au XVIIe siècle, le philosophe mysogine Francis Bacon appellait les hommes à conquérir la Terre comme le ventre d'une femme : «La nature est une femme publique. Nous devons la mater, pénétrer ses secrets et l'enchaîner selon nos désirs.»
Cette mise en relation des dominations a été mise en lumière dans les années 80 aux Etats-Unis. Il s’agissait de faire entendre les voix des femmes au sein d’une éthique environnementale qui s’était jusque-là préoccupée des rapports entre l’homme et la nature, sans se demander de quel homme il s’agissait. Des centaines de femmes ont organisés des blocages de centrales, des sit-in… Une des actions les plus spectaculaires est la Women’s Pentagon Action, en novembre 1980, où environ 2000 femmes se sont réunies devant le Pentagone.
C'est ensuite l'auteure française Françoise d'Eaubonne, cofondatrice du Mouvelement de libération des femmes et signataire du Manifeste des 343, qui emploie pour la première fois le terme "écoféminisme" dans son livre Le féminisme ou la mort (1974). Elle y souligne l'analogie entre l'exploitation de la terre et l'exploitation des femmes, ainsi que la responsabilité des hommes dans la crise environnementale : "Le drame écologique découle directement de l’origine du système patriarcal". Elle fonde son argumentation sur le problème de la surpopulation - encouragée par le capitalisme pour fournir de la main d'oeuvre-, cause majeure de la destruction de l'environnement. Les femmes n'ont pas le contrôle de leur fertilité : la réduction des naissances est à la fois un enjeu clé pour les femmes et pour l'environnement.
“La thèse fondamentale de l’écoféminisme, c’est de soutenir qu’il y a des liens indissociables entre domination des femmes et domination de la nature, ou entre capitalisme écocide et patriarcat. Que ce sont les deux facettes de la même médaille, du même modèle de civilisation qui s’est imposé historiquement”, explique auprès de Slate la professeure de philosophie spécialiste du sujet Jeanne Burgart Goutal.
Greta Thunberg nous alertait aussi, en le 8 mars 2019, sur la nécessité de l'égalité femme-homme pour l'avenir de la planète : " Plus je lis sur la crise du climat, plus je réalise à quel point le féminisme est crucial. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde durable sans égalité entre les genres et les personnes. "
Crédit photo : AFP
Si, aujourd'hui, le mouvement écoféministe est très divers, il se base principalement sur la notion de “reclaim”, qui signifie se réapproprier. Se réapproprier la terre, se réapproprier son corps (nous ne sommes pas des poules pondeuses) et le lien avec le vivant, mais aussi se réapprorier les activités assignées aux femmes et dévalorisées car dites féminines. Il s'agit souvent d'actités du soin ("care"): le soin aux plus vulnérables, le soin aux autres, l'accueil des émotions.
Ce mouvement est aujourd'hui notamment incarné par la physicienne et militante écologique indienne Vandana Shiva, prix Nobel alternatif en 1993.
Crédit photo : Augustus Binu
Sources : collectif Ethique sur l'Etiquette, association Youth Net and Counselling, Rapport Femme et Climat de Ségolène Royal, Oxfam, rapport Sénatorial Femmes et lutte contre le changement climatique, ONU Femmes.
Article rédigé par :
Cécile P.
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